1992 à aujourd’hui – Peintures

Lauréat Marois est un être de contrastes et d’humeurs. Comme la Vie, processus à la fois exaltant et exigeant de transformation. À l’écoute de son essence paradoxale, cet artiste pratique l’ascèse de l’abandon à l’intuition et poursuit sans relâche sa quête esthétique, fondée sur une fusion de la matérialité et de la spiritualité. Troublant alchimiste contemporain, il nous convie à poser un regard empreint de respect et de compassion à l’égard de cette zone bafouée, sinon négligée qu’est l’âme humaine.

Pour Marois, cet accomplissement existentiel ne saurait s’effectuer sans la Nature, source vive, modèle primordial de son travail créateur. Si une lecture au premier degré fait de lui un paysagiste féru d’abstraction géométrique, son exploration géomorphologique et botanique s’appuie à vrai dire sur la métaphore. C’est ainsi que, formellement apparentés en dépit de leur échelle différente, les motifs schématisés de l’arbre et surtout celui de la fleur (particulièrement exploité entre 1992 et 1996), acquièrent par son entremise une tout autre densité.

Déjouant l’apparente simplicité thématique de ses éléments isolés du paysage conventionnel, la série de sept acryliques sur panneau Continuum (1992) célèbre en fait le caractère cyclique de l’évolution cosmique, sa régénération perpétuelle. À noter que le nombre sept, récurrent chez Marois ces dernières années, n’est pas le fruit du hasard. Symbolisant la totalité de l’univers en mouvement, tout comme le passage d’un cycle connu à un autre que l’on ne connaît pas encore, ce nombre épouse à merveille les ambitions plastiques et philosophiques du peintre.

Le feuillu ne se dépouille que pour mieux renaître, nous rappelle-t-il donc dans Continuum. À l’instar de la parabole du grain qui doit mourir en terre avant de devenir la source d’une nouvelle vie pleine de sève, ce «déclin», loin d’être irréversible, est transitoire, et permet d’accéder à une nouvelle magnificence. La floraison participle d’une démonstration similaire, quoique davantage intimiste. Elle exalte cette flamme, associée à la vie intérieure, et qui, trop souvent fragile, ne demande qu’à s’épanouir dans un environnement indulgent à l’égard de sa lumière. Lorsque liée à la figure du soleil dans le polyptyque Les porte-bonheur (dessin au crayon de couleur, 1992) la fleur propose alors la coexistence heureuse d’opposés, un des fondements de la cosmobiologie qui inspire l’artiste de manière si fructueuse.

La série de gouache sur carton intitulée Joie (1993) poursuit cette réflexion singulière. Marois y reprend en fait le troisième élément de sa sérigraphie Triangles (1993), constitué de deux figures stylisées: une fleur ( qui pourrait être un lotus) surmontée d’une feuille à deux lobes (à la manière d’un coeur, tel qu’on le retrouve dans l’imagerie populaire). Sept variations par la couleur nous sont de la sorte proposées, le titre ambigu de Joie référant toutefois davantage à la jubilation du peintre à expérimenter des effets chromatiques qu’au contenu même de l’image, où il est question autant de mort que de résurrection, de mise en terre que d’élévation.

Encore plus équivoque est la série Iris (techniques mixtes, 1993). Cette «fleur ailée» (qui générera une lithographie sous cette appellation) est considérée, dans la mythologie grecque, comme la messagère des dieux. Lauréat Marois ne nie pas être séduit par cette allégorie, lui qui, constamment dans son oeuvre, fait allusion aux mondes terrestre et céleste. Toutefois, marquée par la nature duelle de l’artiste, Iris oscille entre la volupté et la cruauté, tant la précieuse décortication du motif (le support est lui-même trituré et entaillé) est poussée à la limite de l’écorchement. La contemplation se teinte alors d’une fascination trouble.

Plus sobre au niveau chromatique, la première série Les clairs-obscurs (débutée en 1994) n’en est pas moins la plus aboutie. Avec une économie de moyens – du dessin au graphite, ainsi que des incursions du côté de la peinture et du collage – Marois instaure sept variations à partir d’une photographie très sombre, prise en 1972, d’un bouquet dans un vase. Quel raffinement d’approches et de nuances pour un sujet que l’on croyait si éculé! Le mystère et la beauté s’y unissent en une palpitante étreinte sept fois renouvelée.

À la fois fortuit et extrêmement structuré, introspectif et lyrique, l’hymne qu’entonne Lauréat Marois est un véritable baume pour l’âme tourmentée. Son inachèvement laisse deviner d’autres moments sans doute aussi bouleversants, mais vraisemblablement inspirés, ceux-là, par la communion et le dépouillement.

Marie Delagrave